L'origine de ce gros bourg, comme de tant de nos communes de France, est assez confuse ;
si le nom de " Cunfin " est mentionné en 888, pour la première fois semble-t-il, au moment où les Normands ravagèrent la contrée, les débris d'antiquités découverts prouvent incontestablement que ce lieu, fort ancien, était déjà habité au temps des Romains, sous la forme embryonnaire, peut-être, d'une simple ferme.
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Le manoir féodal de Cunfin abrita des seigneurs dès le début du XIIème siècle ; ceux-ci, vers 1250, abandonnèrent la totalité de leurs privilèges à l'abbaye de Clairvaux qui possédait déjà depuis 1164 des droits sur le pays. Ils les conservèrent, d'ailleurs, jusqu'à la Révolution. Saint Bernard, en 1136, lors de son voyage de Molesme à Clairvaux, signala son passage à Cunfin par plusieurs miracles éclatants ; on dit qu'il guérit ainsi un pauvre enfant boiteux et rendit la vue à une femme aveugle de naissance.
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Différentes catastrophes se sont abattues sur Cunfin notamment au Moyen-âge. En cent ans, dix famines et treize pestes désolèrent la région. On ne peut évoquer sans effroi ces épreuves terribles, notamment les famines de 1125 et 1147, et l'épidémie de peste noire de 1348. Peu de traces du passé sont parvenues jusqu'à nous. L'ancienne voie romaine de Châtillon à Bar-sur-Aube est recouverte par la route appelée de nos jours " voie de Bar ". Il a été trouvé, à cet endroit, quantité d'ossements humains et de tombeaux couverts, taillés et polis intérieurement, contenant encore des anneaux, médailles, voire même des épées d'origine gallo-romaine.
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Une ancienne demeure seigneuriale était située à peu de distance de la route de Bar, entre celle-ci et la gare ; cette propriété, qui ne mérite plus guère son nom, date d'environ quatre siècles. De l'ancien prieuré, rien ne subsiste plus ; c'est à peine si l' œil discerne encore, dans la cour des Postes, l'emplacement du puits qui en dépendait. Certains ont fait remonter sa fondation à 890 par les chanoines de Saint-Martin de Tours ; il est plus vraisemblable qu'il fut édifié en 1076 par Simon de Valois, comte de Bar-sur-Aube, dont la vie, dans l'Histoire, est citée en exemple. Une intéressante notice de M. Maurice Tynturié, publiée en 1855, nous apprend que le corps principal avait " des tourelles flanquées aux angles de l'enceinte " ; il fut démoli en 1772 et rebâti un peu plus loin, " à deux portées de fusil ". L'église primitive remontant au XIIème ou XIIIème siècle a été entièrement reconstruite, partie en 1737 et partie en 1787 (clocher). Une petite contrée, désignée sous le nom de " Confrérie ", a livré, au milieu de débris de bâtiments et d'ossements humains, un fragment de piédestal ou de vase antique, des clous de grande dimension et une pièce de monnaie de cuivre dont le millésime et la légende sont illisibles, vestiges probables d'une importante habitation de l'époque gallo-romaine.
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A l'entrée du pays, un autre lieu dit " La Maladrerie " conserve, seul, le souvenir de l'établissement hospitalier fondé pour les pauvres et les malades au temps des croisades. Un peu plus loin, à proximité de la route de Villars, au milieu des bois, s'élève la chapelle Sainte-Anne ; celle-ci, fut élevée, il y a plus d'une centaine d'années, sur l'emplacement d'une autre chapelle fondée - ainsi que le prieuré - en 1076 par Simon de Valois. Elle fut, pendant cinq cents ans, un lieu de pèlerinage très fréquenté. Tout près, au pied de la colline, existait une fontaine, dite de Sainte-Anne, qui, selon la tradition, avait de précieux effets, entre autres ceux de guérir la fièvre, les maladies des yeux et les douleurs chroniques plus ou moins rebelles. Elle a été supprimée depuis par le propriétaire du terrain où elle était située. A proximité de cette même chapelle, un vieux chêne jouissait d'une grande célébrité et d'une manière de respect dans toute la contrée ; certains documents, dignes de foi, affirment que sa plantation remonte à 1070. Lapérousse, dans son histoire de Châtillon, l'appelle chêne de Saint Bernard ; celui-ci se serait, en effet, reposé sous son ombre lors du voyage que nous relatons plus haut. Cet ancêtre vénérable, à l'intérieur duquel un homme pouvait se mouvoir à l'aise, était le plus vieux des chênes de France ; il ne se soutenait presque plus que par l'écorce, sa tige étant devenue creuse. Plusieurs fermes, très anciennes, sont situées sur le finage, notamment Bréviande, Val de la Fontaine, et surtout Beaumont, dont l'existence est reconnue dès 1164 ; elle fut pendant quarante ans la propriété de M. Viesse de Marmont, maréchal de France et duc de Raguse.
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Cunfin était, jadis, un bourg très important. En 1572, il existait 78 feux et 135 en 1738. L'accroissement de sa population devait se poursuivre avec un rythme inconnu de toutes les autres communes de l'arrondissement. En 1851, le recensement accusait le chiffre record de 1247 habitants ! Hélas, à cette progression constante devait bientôt succéder un décroissement d'une rapidité déconcertante. La population tomba de 698 en 1891, à 441 en 1926, pour atteindre seulement 394 en 1931 ! Et encore, n'est-il pas inutile de préciser que 40 étrangers étaient compris dans ce nombre... Comme on le voit, Cunfin était un des exemples frappants de la désertion des campagnes qui fit - et fait - couler tant d'encre, sans amener de réalisations capables d'enrayer énergiquement un mouvement de plus en plus inquiétant. Désormais, isolé dans l'une des contrées les plus reculées du département, le pays ne connaît plus qu'une activité éphémère et factice. Sans doute, l'époque de la chasse le peuple temporairement de Nemrods passionnés dont les exploits ne sont pas seulement verbaux... La gent des bois l'attesterait si des survivants étaient appelés en témoignage. Et quant le "tableau" est honorable, les vainqueurs du " dix-cors " ou du " cochon sauvage " viennent goûter à la table familière d'une hôtesse souriante, la joie de vivre...
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Mais c'est, surtout, au moment des vacances qu'affluent de nombreuses personnes attirées par le site agréable, l'air pur et vivifiant des forêts étalées jusqu'à l'horizon, et qui accourent se retremper de l'atmosphère viciée et turbulente de la ville dans l'une des grandes beautés dont la nature nous a comblés. Et si la solitude des grands bois et le murmure du vent dans les vieux chênes ont été, de tous temps, une source d'inspiration infinie aux poètes qui les ont chantés et exaltés à l'envi, il n'en demeure pas moins que le commun des mortels - pour qui la Muse n'a point d'attraits - apprécie justement l'agréable fraîcheur qui délasse aux premiers pas sous la futaie, la lumière diffuse se jouant entre les fûts des rois de la forêt profonde, piliers majestueux d'une nef immense qui incite à la médiation, symphonie magistralement orchestrée par Éole et les oiseaux. Cunfin, dont le territoire contient plus de 2000 hectares de bois appartenant tant à l'État, qu'à la commune et aux particuliers, est à ce titre nettement privilégié. Des statistiques du 18ème siècle le désignaient comme le pays le plus boisé de toute la France. C'est là un titre beaucoup trop ignoré et qui gagnerait à être divulgué. A une époque où le déboisement imprévoyant et impressionnant apparaît si funeste en conséquence, il est permis de citer avec fierté ce titre enviable dont jouit l'une des commune du département de l'Aube à laquelle la Nature a dispensé ses plus beaux dons.