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Histoire de Mademoiselle FINETTE, Jeune Laie apprivoisée

Extrait du Volume VI - N° 74 de la revue intitulée « LA VIE A LA CAMPAGNE » du 15 Octobre 1909

COMMENT UN ANIMAL SAUVAGE PEUT VIVRE A L'ÉTAT DOMESTIQUE, ET ÊTRE CAPABLE D'ATTACHEMENT ET DE SOUMISSION.

UNE LAIE RENTRE A LA MAISON DE SON MAITRE APRÈS LA PROMENADE AU BOIS.

      Avec l'hiver installé en maître, voici la saison des grandes chasses, et tous découplent à l'envi sur les bêtes noires. La Chasse de ces animaux est très passionnante, parce qu'elle présente l'attrait d'un danger à courir, quel que soit le sexe de l'animal chassé, car la Laie n'est guère moins redoutable que le Sanglier, à cause de sa mâchoire puissante.

Mais cet animal est des plus inoffensifs lorsque, pris tout jeune, il a été élevé en domesticité ; et il en est ainsi même du mâle tant qu'il n'a pas atteint l'âge de un an à 18 mois, car, après, il est rare qu'il ne devienne pas brutal et même dangereux. La Laie, au contraire, peut s'apprivoiser complètement, devenir fidèle et relativement soumise.

 

RESCAPÉE DU CARNIER,

 

Tel est le cas de Finette, jeune Laie d'une belle taille, que nous vous présentons. Trouvée le 4 Mars 1906, en forêt de Clairvaux par Monsieur Brocard, chasseur émérite et Maire de Cunfin, petite localité de l'Aube, elle pouvait avoir, à ce moment, dix à douze jours, et pesait 1200 grammes. Ayant reçu un coup de fusil, elle avait roulé comme un vulgaire lapin, mais, lorsque Monsieur Brocard la ramassa, il s'aperçut qu'elle remuait encore un peu. La prenant alors par les pattes de derrière, il lui frappa la fête sur le tronc d'un hêtre pour l'achever, et la glissa dans son carnier.

En rentrant de la chasse, il déposa son gibier sur la table de la salle manger, et toute la famille examinait la pauvre bête lorsqu'on s'aperçut avec stupeur qu'elle n'était pas encore morte. Le chasseur voulait l'achever, pour lui éviter d'inutiles souffrances, mais sa fille demanda et obtint la grâce du petit animal. Elle courut alors chercher du lait, écarta les mâchoires de sa protégée, et lui en versa quelques gouttes dans la gueule. Puis, on installa la rescapée dans une petite corbeille, enveloppée dans de chaudes couvertures, et on la laissa à la maison.

Pendant une semaine, on lui donna uniquement, comme nourriture, une boisson composée d'un quart de lait et de trois quarts d'eau de son ou d'eau d'orge. Elle n'en absorbait, d'ailleurs, pas plus de dix centilitres par jour. On lui continua cette nourriture pendant deux mois, en augmentant seulement graduellement sa ration, qui atteignait, au total, à la fin de ces deux mois, deux litres et demi par jour. A partir de ce moment, et jusqu'à aujourd'hui, on lui donna du pain, mouillé de lait coupé de moitié d'eau. Elle n'est d'ailleurs pas très vorace, puisque, malgré sa grande taille, elle ne mange pas plus qu'un Chien de chasse de grosseur moyenne. Il est vrai qu'entre ses repas on lui offre souvent quelques friandises, particulièrement lorsqu'on la sort et que l'on veut qu'elle montre son savoir-faire. On lui donne alors des gâteaux de toutes sortes, des noix, des noisettes, du pain avec du fromage, ou de la crème. Elle mange encore un peu de viande crue, à condition cependant qu'elle soit bien fraîche, mais n'accepte aucun autre aliment, car elle est plutôt difficile. Il faut ajouter, cependant, qu'elle est très gourmande de glands, et lorsqu'elle vient à passer sous un chêne, elle ne le quitte pas avant d'avoir mangé tous ceux qu'elle y trouve.

Bien qu'elle n'eût jamais absorbé une grande quantité de nourriture, elle n'en grossit pas moins vite pour cela. Elle pesait, en effet, à six mois, 35 kilogrammes environ, à un an, 90 kilogrammes, à dix-huit mois, 115 kilogrammes et elle pèse actuellement environ 160 kilogrammes. C'est donc un bel animal, et l'on comprend qu'elle ait obtenu, au concours agricole de Bar-sur-Aube, où l'on créa pour elle une catégorie spéciale, une médaille d'argent qui lui fut décernée, à la date du 25 Mai 1907, par le Comice Agricole de l'Aube.

 

CHASSEUR ET CHASSÉE,

 

Elle n'a jamais essayé de retourner au bois, et se montre seulement, à certaines époques, un peu plus nerveuse qu'à l'habitude. C'est qu'elle est fort attachée à ses maîtres, qui l'ont élevée et éduquée comme ils auraient fait d'un jeune Chien.

Toute petite, sa jeune maîtresse la prenait fréquemment sur ses genoux et lui donnait quelque friandise. Elle tournait autour de la table à l'heure des repas et, comme à un Chien, on lui donnait des os, un morceau de pain ou de viande. Lorsque son maître sortait dans le pays, il l'emmenait et se faisait suivre en l'attirant avec une friandise ; maintenant elle l'accompagne souvent, lorsqu'il va à la chasse au bois, et n'a aucune peur des coups de fusil. Elle le suit comme le suivraient ses Chiens, s'en écartant cependant quelquefois de plus de 300 mètres, pour venir le retrouver au premier signal, et même sans qu'il la rappelle, lorsqu'il quitte le bois pour rentrer à la maison. Il lui arrive même souvent d'y chasser pour son compte, et, lorsqu'elle lève un lièvre, elle le mène ni plus ni moins qu'un Chien courant, passant derrière lui par monts et par vaux, et franchissant à sa suite les fourrés les plus épais. Par un juste retour des choses, il lui arriva d'ailleurs, à elle-même, d'être chassée par quelques Chiens de chasse à courre, faisant partie de la meute de Monsieur du Souzy, qui loue toute une partie de la forêt pour y pratiquer cette Chasse. La pauvre bête dut fuir devant eux pendant plus de deux heures, leur faisant tête de temps en temps ; lorsque enfin, avertis de la méprise, les piqueurs purent détourner leurs Chiens, elle vint s'abattre près de Monsieur Brocard, à demi-morte de fatigue et de peur ; comme un enfant gâté, elle posa sa tête énorme sur ses genoux et l'y tint immobile, sous les caresses de son maître, aussi longtemps qu'elle n'eut pas repris haleine.

On l'a amenée petit à petit à suivre la voiture en trottant, et si elle s'en écarte quelquefois, pour aller en plaine ou au bois, ainsi que le fait un Chien, elle revient aussitôt pour rejoindre cette voiture. Elle est d'ailleurs très obéissante, surtout lorsqu'elle est fatiguée par une longue course. Lorsqu'elle a été quelque temps enfermée, au contraire, et qu'on vient à la sortir, elle est un peu folle. Elle est fort attachée à Mademoiselle Brocard sa jeune maîtresse, qui l'a toujours soignée depuis son arrivée à la maison, et lorsque celle-ci s'absente, Finette, au retour, manifeste clairement, par des bonds désordonnés, sa joie de la revoir. Mais, si elle aime sa jeune maîtresse, elle craint plus que tout le reste d'être grondée par elle, et s'il arrive à celle-ci, lorsqu'elle l'importune, de la frapper de la main ou de lui donner un léger coup de badine, elle la quitte aussitôt et se met à la recherche de son maître qu'elle va quelquefois retrouver au bois, s'il y est à la Chasse. Elle n'aime pas, en effet, à être corrigée, et il suffit de lui montrer un fouet rudimentaire, fait d'une baguette et d'une simple ficelle, pour qu'elle se sauve et se cache. C'est là, de toute évidence, un des effets de l'éducation, car le plus violent coup de fouet ne saurait blesser un animal de cette taille.

 

DOUCEUR ET SOUMISSION,

 

Elle connaît parfaitement tous les familiers de la maison, le montre par son empressement à venir auprès d'eux, mais ne tolère pas cependant qu'on la caresse et bourre aussitôt, sans méchanceté cependant, ceux qui essaient de le faire. Lorsqu'elle était plus petite, les gamins du pays l'enfourchaient comme un cheval, se cramponnaient à ses soies, et elle les emmenait à une allure folle, mais elle ne se prête plus à ce jeu. Il lui arrive de courir sur les personnes qu'elle rencontre, et, si celles-ci s'en effarent, elle les bourre quelquefois et peut même les renverser, mais elle agit ainsi par gaminerie, car elle n'a jamais fait de mal à qui que ce soit. Sa maîtresse la fait coucher à sa volonté et se couche elle-même sur sa croupe puissante. Elle vient manger à table, les pieds appuyés sur un tabouret, ou se redresse sur une chaise pour saisir la friandise qu'on lui présente, s'allonge près de son maître couché sur le sol, pour être caressée, saisit une noix qu'il tient entre ses lèvres, pose la tête sur les genoux de sa maîtresse, et, en un mot, fait mille gentillesses, si l'on peut appliquer ce terme aux actes d'un tel animal.

Monsieur Brocard, à l'origine, pensait la tuer lorsqu'elle aurait un an, mais toute la famille y est tellement attachée aujourd'hui qu'il est fort probable, à moins d'imprévu, que Finette mourra de vieillesse chez ses maîtres. C'est là un exemple remarquable de ce que peut l'éducation sur un animal aussi sauvage, et c'est pourquoi nous avons cru curieux de vous présenter cette intéressante élève.

Georges LANORVILLE

1909

1909

1909

Cartes postales anciennes de la laie apprivoisée nommée Finette. Si vous désirez les consulter 

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