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Extrait de la Thèse de Maîtrise de Sociologie Rurale

" Déclin d'une commune française - Cunfin en Champagne "

 

de Monsieur Claude PARIS

Dans sa thèse de maîtrise de sociologie rurale " Déclin d'une commune française - Cunfin en Champagne " réalisée sous la direction de Mesdames EIZNER et GROSHENS (Université PARIS X - NANTERRE - Sciences sociales et administration - Année 1985/1986),

Monsieur PARIS, Claude, détaille une approche historique de Cunfin, dans laquelle y est relaté ;

 

LE PRIEUR

*.*.*.*.*......     Le prieur était seigneur haut, moyen et bas justicier pour les trois-quarts et les religieux de Clairvaux pour l'autre part. En cette qualité, il avait droit de faire exercer la justice par des officiers de son choix, de nommer un juge, un lieutenant et un garde que les religieux de l'Abbaye étaient obligés de gréer (1). Ces officiers devaient rendre compte de leurs profits et les partager en fonction des parts attribuées. Le prieur recevait trois parts du grief de la justice , c'est à dire de toutes les amendes, saisies, confiscations... qui s'adjugeaient dans le pays pour des abus ou des malversations dans les bois ou ceux de la communauté ; les religieux en percevaient le quart restant. De ce fait, l'abbé de Clairvaux ne faisait exercer la justice que pendant le premier trimestre de l'année, qui correspondait à son quart de seigneurie.

En 1668, le prieur Claude Dorges, ayant voulu s'opposer à cet ordre, fur condamné pas sentence du bailli de Chaumont, "aux dépens, dommages et intérêts pour troubles, par lui faits, dans l'exercice de ses droits". Les assises ou plaids se tenaient dans la cour du prieuré, en présence du prieur ou par son ordre. Dans cette administration de la justice, les officiers du prieur n'avaient pas de costume particulier. Un terrier (2) porte qu'ils prenaient connaissance des délits ruraux et des contraventions aux ordonnances de police et de toutes les matières, tant civiles que criminelles et personnelles.

On pouvait appeler des juges du prieuré au baillage de Chaumont ; de là, on allait au Parlement. Dans une foule de cas, les juges du prieur statuaient définitivement, même quand il s'agissait de la peine de mort. C'était la conséquence du droit de haute justice mais à tous les hauts justiciers n'appartenaient pas le droit d'exécution. Ces décisions se transmettaient au Prévôt de Chaumont et lui seul pouvait donner des ordres à l'exécuter des hautes œuvres. C'était, d'ailleurs, dans cette ville qu'avaient lieu les exécutions (3).

Après cette diversion, revenons à la chronologie des faits. Sur le plan administratif, tout n'a pas dû être très clair, compte tenu de la position géographique de ce village, bien que la réunion de la Champagne et du comté de Bar-sur-Seine n'ait pas amené de grands changements : les droits acquis sont respectés et le Roi reconnaît les franchises. Mais le duc de Bourgogne voit avec déplaisir cette contrée passer à la couronne. Les États du Roi sont limitrophes des siens et ce rapprochement des frontières est un sujet de discorde et de mécontentement.  Cette région située à une charnière géographique connaîtra une attention particulière des deux parties et sera au centre d'incidents ou d'accrochages.

L'emprise locale de seigneurs est progressivement annihilée par le Roi, les princes et les grands féodaux. Le monde rural prend peu à peu sa propre défense en agissant à l'échelle du village par l'intermédiaire de l'union des habitants de la communauté. Le but recherché est, avant tout, de mettre fin, par voie d'accords écrits, à l'arbitraire dans la perception des exactions. L'affirmation de ces droits d'usage sont, maintenant, codifiés et cette réduction des charges et des droits seigneuriaux resserre la marge de manœuvre des seigneurs. Ils sont ainsi, privés de certaines ressources et doivent s'adresser, de plus en plus, à une main d'œuvre salariée. Cette évolution sera pourtant freinée dans notre région par deux problèmes qui secouent, jusque dans ses fondements, la paysannerie fragile des années 1330-1350 : les guerres et la fameuse "peste noire" de 1348.

Pour cette dernière, les conséquences seront très profondes sur le plan démographique. La peste, débarquée à Marseille par l'intermédiaire de marins génois, remontera vers le bassin parisien, par le couloir Rhône-Saône pour arriver dans notre région au cours de l'été. On ne compte pas moins d'un tiers des habitants morts des suites de cette maladie, dans le diocèse de Langres. Plusieurs villages disparaîtront complètement.

Quant aux guerres, elles sont surtout l'œuvre des anglais qui profitent aussi des divergences politiques pour pénétrer sur le sol français. Vainqueurs à Poitiers, ils poursuivent leur marche triomphale et envahissent la Bourgogne. Cunfin sera, de nouveau, ravagé et la situation du village devient, une nouvelle fois, des plus précaire. Les villageois ne trouvent leur salut que dans les refuges que leur procurent les bois.

En 1359, une terrible bataille contre les anglais se déroule à une dizaine de kilomètres de Cunfin, à Brion-sur-Ource. La noblesse du pays sera en grande partie écrasée par des forces supérieures en nombre. Les Anglais devenus maîtres incontestés du pays se répandront dans toutes les localités pour vivre à leurs dépens. Châtillon sera entièrement brûlée. Lé désolation est telle que le Roi autorise les habitants de certains villages à  prendre du bois dans les forêts de l'État pour reconstruire leurs habitations détruites. Il viendra, d'ailleurs, constater de lui-même l'ampleur des dégâts en rendant visite au comté de Bar-sur-Seine. Quelques années plus tard, en 1379, afin de régulariser l'administration du comté, entièrement abandonnée depuis de nombreuses années, le pouvoir royal ordonne un dénombrement général de fiefs. Cunfin apparaît dans le registre au n°21 avec le Val la Fontaine (n°70) qui était alors considéré comme un village (3 feux).

De cette période, la région sort appauvrie, l'agriculture et le commerce sont au plus bas. Les foires ont totalement disparu.

Le comté de Bar-sur-Seine est toujours à la pointe des intrigues entre les deux parties et le duc de Bourgogne souhaite le récupérer en paiement des dettes contractées envers lui. Il affronte le Roi de France, Charles VII et cette malheureuse guerre avec ses luttes actives, ses représailles continuelles, les marches et les contremarches, cause la ruine de toute la contrée. Les villes sont reprises, tantôt par les Français, tantôt par les Bourguignons. En 1435, Charles VII devra abandonner le comté de Bar-sur-Seine au duc de Bourgogne. La situation est assez complexe pour les villages isolés. Ainsi, Cunfin, Verpillières et Grancey sont remis à la châtellenie de Châtillon.

On notera aussi, chose qui n'arrange pas l'économie de la région, le passage de plusieurs bandes d'Écorcheurs qui, à leur tour, mettent à sac tout l'arrière du pays et principalement celui qui borde notre village à l'est : le Bassigny.

Puis, s'ouvre, enfin, une période de calme et de prospérité pour la Champagne du fait des guerres menées en dehors de nos frontières.

Aux environs de la moitié du XVIème siècle, la campagne de repeuple, la production se gonfle et la seigneurie se reconstitue tout en récupérant une partie de sa puissance. Elle redevient, avec la paroisse et la communauté, le cadre essentiel de la vie paysanne. Sur des tenures, de nouveau mises en valeur, se multiplient les exploitations. Celles-ci seront les unités socio-économiques fondamentales de la société du XVIème siècle. On assiste, alors, à une spécialisation plus poussée de la production, entre autres, la vigne et l'élevage.

Des témoignages font état de la présence de deux moulins banaux (4) sur le ruisseau du Landion. L'un appartenait au prieur, l'autre à l'Abbaye de Clairvaux. La banalité des fours et des moulins remonte au temps où tout le peuple ployait sous une servitude générale. Cet état qui lui enlevait toute espèce de propriété dans les bois, les rivières, supprimait, aussi, tous les moyens nécessaires pour l'emplacement, la construction et le service des moulins et des fours. A ces deux moulins, les habitants devaient moudre leur grain sous peine d'amende et de confiscation. La faculté d'avoir un four (5) dans leur maison leur était interdite et ils ne pouvaient cuire leur pain et autres pâtes qu'au four banal. Ils ne pouvaient pas, non plus, vendre ou transporter, hors de la seigneurie, des produits ou des marchandises.

En 1520, un individu, du nom de Thevenin, qui avait pris dans les bois communaux une certaine quantité de merrain (6) fut condamné en la Justice de Cunfin, à une amende de 60 sous tournois et à la réparation des dommages.

A toutes ces charges, venaient s'ajouter aussi celles imposées par des mesures générales à la province de Champagne, sur le sel par exemple. Ajoutons-y encore la dîme de la cure : pour le village c'était la vingt et unième sur toutes les terres imposée  par l'autorité des seigneurs.

Par ailleurs, le XVIème siècle est l'époque des doctrines de Luther et de Calvin ce qui a pour conséquences de voir des troubles agiter, une nouvelle fois, ce secteur. Dans le diocèse de Langres, les troupes catholiques et protestantes s'affrontent. L'apport, dans certains cas, de troupes mercenaires vient accentuer les dégâts causés par ces affrontement. La région comprise entre la Seine et l'Aube est entièrement dévastée par des compagnies de "reîtres" et de "lansquenets" qui occupent militairement le terrain et vivent aux dépens des différents villages.

En 1595, Henri IV, visitera Troyes, traversera Bar-sur-Seine et le Château de Polisy et ira coucher au Château de Larrey où il recevra la soumission de la ville de Châtillon dont le terrible baron de Therrissey, gouverneur de la ville, avait guerroyé contre les troupes royalistes.

Cette paix précaire sera de nouveau mise en question dans la période de la guerre de trente ans : les allemands pénètrent en Bourgogne et le duc de Saxe-Weimar, à la tête de ses suédois, occupe tout le Bassigny. Les armées impériales s'emparent du comté de Bar-sur-Seine et les églises des environs sont détruites. Tout ce qui ne peut pas être emporté est brûlé sur place.

Dans les annales de Clairvaux, il est consigné que Cunfin, au même titre que ses voisins immédiats, a éprouvé tous ces malheurs que ces longues guerres ont entraînés à leur suite... "...En 1587, Don Estienne, abbé du dit monastère, voyant notre pays "vexé" et tourmenté sans cesse par des gens de guerre, et le peuple abandonner le village, de sorte que l'on avait de la peine à trouver des charretiers ou des ouvriers pour aider ses religieux convers à faire le labourage de la ferme que possédait Clairvaux sur le finage de Cunfin, résolut de les rappeler à l'abbaye pour les mettre à couvert des insultes et des incursions des gens de guerre et de laisser le "gaignage" de la métairie à vil prix par bail emphytéotique à quelques laboureurs séculiers qui pourraient en profiter..." (7).

Dans le diocèse de Langres, l'école de Luther continuera d'enregistrer des résultats positifs intéressants mais pour ce qui est de Cunfin, on comptera seulement quelques huguenots.

L'époque de la fronde, pour le paysan, et les années qui suivent, sont très difficiles et bien souvent il lui est pratiquement impossible de verser les redevances en espèces. D'ailleurs, comment disposerait-il d'espèces puisqu'il ne produit qu'avec peine ce qui est nécessaire pour vivre et payer les impôts en nature ! Il ne lui reste rien à vendre. Alors, parfois, il emprunte aux laboureurs, aux receveurs, aux marchands. Il espère rembourser par son travail. Mais c'est le cycle infernal : une mauvaise récolte, une période de disette et le remboursement devient impossible. C'est alors la saisie. Ainsi, pendant la fronde et les années suivantes, beaucoup de prêteurs ont pu acquérir des parcelles rurales qui, réunies, constitueront des domaines. Les gentilshommes des campagnes n'y peuvent rien, non plus, car eux aussi sont bien souvent dans la même situation que celle des paysans. La fronde ramène la misère dans les villages. Entre 1635 et 1665, plus de 10 % des villages champenois seront désertés et disparaîtront à tout jamais.

On a beaucoup parlé, ci-dessus, de l'importance des religieux dans la vie du village. Il est intéressant, maintenant, à travers un cas concret, de connaître les rapports qu'ils entretenaient avec la noblesse du pays.

Une famille noble, appelée Ravinel, originaire de Beauvoisis, s'était établie à Cunfin dans le courant du XVème siècle. Les Ravinel ayant voulu prendre en 1508 le titre de seigneur de notre pays, furent condamnés par le Parlement, après de longues procédures, des contestations fréquentes et de gros procès, face au prieur et aux moines de Clairvaux, au sujet de la dîme et du droit de cornage qu'ils ne voulaient pas payer comme les autres habitants. Ils prétendirent en être exempts comme "gentilhomme" (8) mais, n'ayant aucun titre à faire valoir pour obtenir le privilège de l'exemption, ils furent condamnés à payer cette dîme et ce droit de cornage.

Un autre membre de cette famille, Philippe de Ravinel, écuyer (9), seigneur d'Humbauville, homme violent et chicaneur, qui vécut vers le début du XVIIème siècle, était sans cesse en guerre ouverte avec le prieur d'alors, nommé Philibert de Montessus. Celui-ci le tua en se défendant lors d'une querelle qu'ils eurent ensemble le 7 février 1612 et dont voici, en quelques mots, l'histoire : Le prieur protesta contre un accord proposé aux habitants de Cunfin par Philippe de Ravinel au préjudice des droits seigneuriaux. Celui-ci, en ayant été averti, se présenta aussitôt devant le prieur avec son neveu, Jean de Bussières. L'un et l'autre étaient armés de poignards et d'épées. Ravinel, en arrivant dit au prieur : "sortez d'ici Montessus, sors d'ici, Moine !!!", "le prieur lui répondit qu'il avait tort de lui parler de cette façon insolente. La conversation s'envenima, Ravinel portant alors la main à son épée, fit éloigner un peu le prieur qui prit aussitôt une pierre et la lança ; alors Philippe de Ravinel et son neveu tirèrent leur épée et chargèrent le religieux qui, armé que d'un bâton, recula devant ses adversaires". Mais bientôt, son laquais lui apporta son épée (10) avec laquelle il se mit en défense contre eux, jusqu'à ce qu'il fut rentré chez lui. Après qu'il s'y fut retiré, quelqu'un de ceux qui avaient été témoins de cette tragédie, voyant de Ravinel perdre son sang, lui dit : "Retirez-vous, vous saignez...".

Comme il s'en retournait à son domicile, la sœur du prieur qui se trouvait là, se mit à crier après lui, disant qu'ils étaient deux pour assassiner son frère. Ravinel lui répondit en jurant, que si elle n'était pas une femme il lui passerait l'épée à travers le corps. Il ne fut pas plutôt rentré chez lui qu'il tomba raide mort. Sa sœur, Louise de Ravinel, porta sur le champ plainte contre le prieur, au bailli de Laferté-sur-Aube.

Le Lieutenant Général au baillage de ce lieu, vint à Cunfin dès le lendemain, avec un autre officier pour instruire extrajudiciairement un procès entre Messire Claude de Bretagne, comte de Vertus, seigneur de Laferté, demandeur, en crimes et délits, et Louis de Ravinel contre Philibert de Montessus, prieur.

Arrivés à Cunfin, les officiers de Laferté trouvèrent un frère convers de Clairvaux, gouverneur de la cense de Beaumont (11) qu'ils menacèrent de mettre en prison parce qu'il avait appelé des chirurgiens pour visiter le corps de l'homme mort. Le frère leur répondit qu'ils n'avaient pas le droit de le faire et qu'il ne leur reconnaissait ni juridiction, ni pouvoir de justice dans Cunfin (12). Le même jour, l'abbé de Clairvaux, Denis de Claux, fut averti en allant à Beaumont, que les officiers de Laferté étaient dans le village pour informer du fait. L'abbé de Clairvaux protesta par un billet écrit qui leur fut signifié par un sergent (13). Mais les officiers de Laferté n'en tinrent absolument pas compte. Ils disaient qu'ils voulaient maintenir l'autorité de Monsieur le Comte et de son bailli.

Le 9 février, les moines de Clairvaux envoyèrent à Cunfin le Juge général de leurs terres avec le Procureur pour continuer les procédures commencées.

Le 10, les officiers de Laferté étant retournés à Cunfin, envoyèrent faire défense de la part de Monsieur le comte de Vertus, de passer outre au procès intenté contre le prieur sous peine de 500 livres d'amende et de nullité en besogne. Mais à la requête du Procureur de Clairvaux, ils furent arrêtés et mis à la garde de deux autres sergents royaux, ce qui les mit en grande colère. Redoublant alors leur force, ils se précipitèrent à la porte du logis où étaient les officiers de Clairvaux et en rompirent une planche. Les moines de Clairvaux, pour empêcher qu'on ne se saisisse de leurs officiers, envoyèrent à leur tour des forces à Cunfin avec avertissement, toutefois, d'endurer plutôt que de frapper. Mais ces officiers se voyant molestés par ceux de Laferté et ne sachant pas, si en vertu des arrêts de la Cour, ils étaient bien fondés pour les empêcher d'agir dans l'affaire en question, crurent devoir se retirer pour demander avis au Conseil. Les officiers de Laferté devenus maîtres de la situation poursuivirent leur procédure.

Le corps de Ravinel fut visité et ouvert. On le trouva couvert de plaies et il fut ordonné une prise de corps contre le prieur et diverses personnes. Philibert de Montessus fut assigné trois fois à comparaître en personne au baillage de Laferté, à l'effet de se justifier ou pour être entendu avec témoins. Il refusa de se présenter et fut condamné par contumace. Ce dernier refusa d'ouvrir la porte au sergent qui venait lui signifier la sentence portée contre lui.

Hélas, il ne m'a pas été donné de connaître l'issue de ce procès, mais il est certain que Cunfin fut en émoi et soutint son prieur.

Un autre fait, nous est parvenu, qui défraya, en son temps, la chronique locale, c'est celui d'un procès de sorcellerie au XVIIème siècle. Ce procès fut instruit, dans toutes les formes, par le bailli de Chaumont contre une femme de Cunfin accusée de maléfices et de sorcellerie. Son nom était Anthoinette Buisson. Le peuple l'appelait la "petite Thoinette" ou "Thonette" à cause de sa laideur. Elle passait pour avoir fait des incantations, renié la foi chrétienne et commis de grands maux. Elle fut accusée d'avoir jeté le sort aux gens du seigneur de Bréviandes et sur son bétail. On trouva dans toute la procédure, la preuve éclatante que cette femme était une sorcière et, par un jugement, elle fut déclarée atteinte et convaincue du crime de sortilège et de maléfice ; en réparation de quoi elle fut condamnée à être brûlée vive.

L'exécution eut lieu. On apporta un poteau de chêne qu'on ficha en terre. On appréhenda la magicienne et on l'attacha avec une chaîne au poteau, puis, on acheta quelques brouettées de gros bois qu'on rangea autour de la coupable avec une quarantaine de fagots de petit bois sec pour la faire brûler. Le bourreau mit quelques poignées de paille sous le bûcher en présence d'une foule de spectateurs et remua, avec une grande fourche en fer, le bois qui brûlait la victime. Lors de cette exécution, un bruit effrayant se fit entendre sur le bois voisin appelé "Forêt Lambert" et l'on vit sortir en même temps de la bouche de la sorcière, quantité de mouches noires (14) qui voltigèrent quelques instants autour de la tête du bourreau qui, frappé de terreur, conjurait l'assistance de ne pas l'abandonner. "La partie inférieure du corps de la suppliciée parut résister quelques temps à l'action du feu... L'on vit sortir de l'anus une énorme guêpe ; les enfants qu'on avait voulu rendre témoins du supplice d'Anthoinette, furent tous fouettés par leurs parents pour mieux graver en leur mémoire le souvenir de cet événement qui devait leur servir de leçon pour la conduite future" (15). Seule la tradition répète cette histoire car il n'y a plus d'archives, ou tout du moins je n'ai pas pu retrouver les instances du procès pour confirmer ces faits. Néanmoins, quelques livres axés sur la vie champenoise et des Guides (16) rapportent cette histoire. Elle confirme que le village était en accord avec ce qui se passait un peu partout en France au début de ce siècle.

Par la force des choses, la religion continue au XVIIème siècle à avoir une place prépondérante dans la vie quotidienne de ce village. La messe dominicale était le moyen de rassembler la communauté villageoise et l'église en est le symbole matériel. C'est la cloche qui rythme la vie de tous les jours. Elle annonce les fêtes, les deuils et signale l'approche du danger. Toutes les fêtes marquent l'écoulement temporel. L'omniprésence de la religion ne doit pas faire oublier la carence de l'église au niveau de sa mission dans les campagnes. L'absentéisme est la plaie des paroisses rurales, parfois le curé se contente de toucher les revenus de sa cure et d'y paraître pour satisfaire à ses obligations canoniques. Toutefois, à Cunfin, le curé, lui, habite dans le village et se déplace pour aller dire les messes dans les chapelles des fermes environnantes : Beaumont, Bréviandes... Il dépend des lois des moines de Clairvaux. Outre les quelques avantages qui évoluent selon le temps, il touche un salaire, le "gros" alors que l'essentiel des revenus vont à l'abbaye ou au prieuré. Ce curé est, bien souvent, d'origine paysanne et n'a aucune formation particulière ; c'est en tant qu'enfant de chœur qu'il se familiarise avec une liturgie apprise mécaniquement, plutôt que comprise. Un peu de latin, un peu de doctrine et ensuite on le présentait à l'évêque qui l'ordonnait en lui faisant subir un bref examen. Issu de ce monde rural, il conservait des attaches et des mœurs terriennes. Parfois il possédait quelques terres dont il était propriétaire quand il était originaire du pays.

Face à cette religion existe une contre religion : la sorcellerie qui est une des données traditionnelles de la civilisation rurale. Cette sorcière brûlée vive, dont nous avons évoqué l'histoire, était certainement une personne ayant des connaissances plus développées que les autres. L'ignorance et le sens religieux ont fait le reste. Personne familière du village, peut-on penser qu'elle ait pu être une gène pour les religieux de la région qui en prirent ombrage et pour le maître de Bréviandes qui n'hésita pas à vendre une terre pour payer le procès ?

Cet acte collectif villageois, ne met-il pas en cause un certain procès de la conscience religieuse, poussant les clercs et les magistrats à voir partout la présence d'un démon ? Ou alors faut-il croire, au niveau de la paysannerie, à un refuge généralisé dans l'imaginaire pour tenter d'oublier les misères du temps ?

Faute de pouvoir répondre plus à l'une qu'à l'autre de ces deux questions, on pourra dire que cette sorcière fut, en quelque sorte le "bouc émissaire" et porta le poids des responsabilités collectives.

Les gens de Cunfin payaient redevances à leur seigneur en nature ou en argent et n'en étaient pas moins assujettis au paiement des impositions royales ordinaires ou extraordinaires. Cet impôt était payé annuellement par les laboureurs : 115 mesures de blés raclés selon la mesure de Laferté-sur-Aube, 105 d'avoines et 2 livres 13 sous 3 deniers. Ils devaient payer plus ou moins suivant le nombre de chevaux ou de bœufs qu'ils employaient à la culture de la terre. Chaque manouvrier payait trois quarts de mesure de blé et autant d'avoine et un sou.

Les habitants de Cunfin avaient acquis le droit d'usage et de pâturage dans les bois seigneuriaux à titre de concession des seigneurs et à la charge de leur payer chaque année, une redevance qu'on appelait droit de cornage pour ceux qui labouraient avec des "bêtes trahantes" et droit d'hommage pour ceux qui ne labouraient pas. Les laboureurs payaient 2 mesures de froment et autant d'avoine, 12 deniers pour chaque cheval et 6 pour chaque bœuf ou vache. Ceux qui ne labouraient pas payaient 1 sou tournois. Selon les droits, trois quarts de ces redevances qui se payaient toutes à la Saint-Martin d'hiver, appartenaient au prieur et l'autre quart, aux religieux de Clairvaux.

Par ailleurs, au premier étaient dus les deux tiers de toutes les dîmes (17) et aux seconds l'autre tiers. Pour le remplacement de la banalité du four (18) on payait 35 sous pour chaque feu ; les veuves n'en payant que la moitié. Les habitants payaient aussi pour chaque journal (19) de terres un denier dont les trois quarts étaient versés au prieur. Enfin, il fallait payer 4 livres de rente de cens particulier, non compris celui qui payait le curé et qui était de 18 livres pour l'emplacement de l'ancienne maison du prieuré qu'on louait par bail devant notaire (20).

 Cependant, il arriva un moment où la commune en eut assez de payer certains droits, c'est ainsi que le droit de cornage devint une source de contestations, de chicanes et de procès entre les seigneurs et leurs vassaux. Une partie des habitants ne le payaient plus vers le commencement du XVIIIème siècle et il donna lieu à un soulèvement général en 1716, lorsque les seigneurs voulurent contraindre à le payer selon l'usage. Un procès s'ensuivit qui eut une importance locale non négligeable.

Les anciens avaient reconnu le droit de cornage par une déclaration spéciale faite en 1546, laquelle était relative à l'assignation que le prieur et les moines de Clairvaux leur avaient donnée en vertu d'une commission de la Chancellerie qui leur permettait de faire un "terrier" (21) des droits seigneuriaux qui leur étaient dus pas leurs vassaux  et sujets. Cette déclaration, ainsi que deux autres rédigées dans le même sens, en date de 1521 et de 1603, avaient pour fondement les plus anciens titres. Ces trois déclarations avaient été suivies d'une possession constante et continuelle, jusqu'en 1705, par des paiements faits en blés par les habitants, tant pour le droit de cornage que pour le droit d'hommage. Sur la fin de 1708, le prieur et les moines de Clairvaux, ayant voulu faire payer les habitants de Cunfin, ceux-ci se présentèrent au bailli de Chaumont pour déposer une requête dans laquelle ils exposaient que les religieux abusant de leur autorité, avaient usurpé sur eux, depuis longtemps, des droits de cens (22) et de cornage ; que ces droits étaient excessifs et onéreux ; que les moines exigeaient ces droits avec beaucoup de rigueur, qu'ils s'étaient souvent plaints de cette dure servitude en demandant qu'on leur communiqua les titres justificatifs de ces droits. Ainsi, les habitants étaient prêts à payer si les seigneurs pouvaient justifier de leurs droits, sinon il devait y avoir restitution des droits indûment levés et perçus par eux avec intérêts.

Cette contestation n'était le fait que de quelques personnes qui ne semblaient pas avoir été autorisées préalablement par délibération de la communauté, visée et approuvée du commissaire de la province conformément à un ordre du Roi. Il y eut une ordonnance du lieutenant général de Chaumont portant autorisation d'assigner aux fins de la requête, et en vertu de cette ordonnance, les moines de Clairvaux furent assignés au baillage de Chaumont (23). Après maintes discussions, les moines fournirent aux habitants du village la copie d'une ancienne déclaration et d'une ancienne sentence qui établissaient parfaitement les droits de cens et de cornage qu'ils avaient toujours payés jusqu'alors. La cause fut portée en renvoi devant les requêtes du Palais à Paris, qui déclara les habitants de Cunfin non recevables et mal fondés dans leur demande et les condamna à payer les droits échus et à échoir (sentence du 4 décembre 1711). Après appel, cette décision fut confirmée par un autre arrêté au vu des titres les 29 avril 1716.

Les habitants ne respectèrent pas l'arrêté et menacèrent de tuer ceux qui viendront les contraindre de payer des droits de cornage. Les moines de Clairvaux, malgré ces menaces, essayèrent d'envoyer le 14 décembre 1716, un huissier avec deux recors pour faire mettre à exécution l'arrêt du Parlement.

En arrivant à Cunfin, il se présenta chez un laboureur nommé Boget à qui il dit le sujet pour lequel il était entré chez lui, qu'il somma ensuite de payer à l'Abbaye de Clairvaux la quantité de 12 boisseaux de froment et 6 sous de deniers pour droit de cornage, sans préjudice de ce qu'il devait encore pour les années précédentes, et ceci en vertu de l'arrêt du Parlement dont il lui montra l'original. Devant le refus de l'intéressé, l'huissier déclara qu'il allait procéder par voie de saisie sur les immeubles et effets de son domicile en présence de ses recors. Boget courut aussitôt à sa grange où il s'arma de son fléau et se mit en devoir avec sa femme, d'empêcher la saisie en criant au secours et au voleur. Des gens du voisinage accoururent de leur maison et prêtèrent main-forte à Boget. Puis ce fut une foule qui se rassembla et le tocsin fut sonné. Tous ces gens armés de fléaux et de bâtons, firent pleuvoir une grêle de pierres sur l'huissier et ses recors. Ces derniers tâchèrent de gagner la maison priorale habitée alors par un fermier. Ils y parvinrent de justesse grâce à l'intervention de Louis Lamiral, juge du lieu et d'Etienne Horlier, procureur fiscal (24) qui, arrivés sur les lieux, tentèrent de les ramener à la raison en leur présentant les conséquences fâcheuses de cette opposition aux ordres de la Cour. Quelques heures plus tard, après avoir dressé procès-verbal contre les émeutiers en présence de 4 témoins, l'huissier et ses recors s'enfuirent à travers champs sous les huées de la foule.

Le prieur et les moines de Clairvaux portèrent plainte au Parlement, contre les habitants de Cunfin, pour sédition et rébellion. Une information fut ordonnée par cette Cour et le prévôt de Bar-sur-Aube fut nommé commissaire délégué pour y procéder à la déposition de huit témoins. La situation n'évolua pas. Les moines durent recourir à l'Intendance de Champagne qu'ils supplièrent de leur donner main-forte contre les habitants du village pour la pleine exécution de l'arrêt de 1716.

Ce n'est qu'en 1721, le 25 juin, que l'Intendant permit aux moines d'utiliser autant d'huissiers et d'archers qu'ils jugeraient bon d'employer pour faire exécuter la sentence, afin de force reste à la justice.

Administrativement, le village de Cunfin dépend du Parlement de Paris et du baillage de Chaumont (25), après avoir relevé, pour les affaires criminelles du baillage, prévôté et châtellenie de Laferté-sur-Aube (26). Le pays était, par ailleurs, régi par les coutumes de Chaumont et faisait partie de l'intendance ou Généralité de Châlons-sur-Marne (27) et de l'Élection (28) de Bar-sur-Aube, ainsi que du grenier à sel de Mussy (29).

L'administration municipale était confiée à un syndic et à un procureur. Les délibérations étaient prises à la pluralité des suffrages des habitants qui se réunissaient, au son de la cloche, sous un marronnier d'Inde, dont l'ombrage se projetait fort loin (30).

L'exercice de la police, la répression des délits ruraux, le jugement des contestations, des rixes, des procès, appartenaient au juge et au lieutenant choisis par le prieur, seigneur temporel de Cunfin, au nom duquel, ces officiers agissaient. Le sergent ou huissier chargé de verbaliser contre les délinquants, de délivrer des ajournements, de signifier et de faire exécuter les jugements, était également commissionné par le prieur.

Les finances, avec les impôts et tailles, perçus par les collecteurs (ou fermiers généraux) remis par eux aux receveurs, étaient centralisés par les baillis. Chaque baillage était donc une sorte de trésorerie. La plupart des baillages champenois formaient, pour les finances, la Généralité de Châlons.

Religieusement, Cunfin dépendait du diocèse de Langres qui était découpé en six archidiaconés - archidiaconé du Lassois (31). Les archidiaconés sont eux-mêmes morcelés en 17 doyennés et le village appartenait à celui de Bar-sur-Seine. L'ensemble de l'évêché de Langres se divisait en 1800 cures.

D'après "L'État de la Généralité de Champagne pendant les années 1689-1690-1691" de Louis Bechameil de Nointel, Cunfin dépendait des seigneurs, Monsieur Claude de Grand, grand prieur, puis abbé général du Val-des-Choux et de Messieurs de Clervaux et était imposé pour, respectivement, 940, 970 et 975 livres dans les trois années de l'état cité précédemment.

Village de 84 feux avec des terres à bois, vignes et conseigle, mises en valeur par 14 laboureurs, son histoire, sous le règne de Louis XIV se confond avec celle de la Champagne en général avec son cortège de calamités, de maladies et d'impôts. Les rapports des Intendants portent la trace des ruines et des difficultés matérielles et morales. Le dénuement de la Champagne est si grand qu'il suscite dans Paris l'émotion de certaines familles bourgeoises. Ainsi, les établissements religieux et les "œuvres" furent soutenus par le dévouement de nombreuses familles appartenant à l'aristocratie et enracinés dans la province.

Quant au recrutement militaire, celui-ci se faisait à l'origine par élection : L'Intendant dressait la liste des principales paroisses de la Généralité, puis le syndic, le curé et quatre des principaux habitants de chaque paroisse, faisaient le recensement des célibataires et des veufs sans enfant de 20 ans au moins et 40 ans au plus. Chaque paroisse élisait ensuite son milicien. Les difficultés surgirent lorsque certaines paroisses offrirent une somme à celui qui s'engageait pour accomplir le service. L'ordonnance du 23 décembre 1691, substitua à l'élection, le tirage au sort que l'on opérait au chef de l'élection, en présence de l'Intendant, de son subdélégué ou de son commissaire. Les syndics des communes amenaient les hommes susceptibles d'être désignés. Cunfin n'a pas failli à cette obligation et écrire le destin de ces quelques hommes qui ont représenté le village en tant que miliciens ne peut pas être réalisé ici. Les heures héroïques et le sacrifice de certains ne sont pas des actes que l'on peut exprimer en quelques lignes.

A la veille de la Révolution, Cunfin poursuit, néanmoins son expansion démographique. Pourtant, cette période, marquée par un hiver des plus rudes en 1709 et une épidémie en 1731 qui décima une partie du comté de Bar-sur-Seine, est une ère de grande misère pour le monde rural. Les paysans sont ignorants et écrasés par les charges administratives et l'indifférence des grands propriétaires. Pour l'Aube, en général, la moisson est riche, la vendange excellente mais le vin ne se vend pas à cause des impôts trop importants et multipliés.

Le clergé, puissant, possède environ un tiers de tous les biens. Les abbayes sont riches et la plupart en commende (les abbés sont parfois nobles et touchent des revenus sans remplir de charges). Les dîmes perçues par des décimateurs et le curé du village ne touche que la portion "congrue". Ils sont presque aussi malheureux que leurs administrés ; alors que l'abbé de Clairvaux a 4000000 francs de rentes et ne sort jamais sans un équipage dû à son rang. Le curé de campagne a sa place au sein de la communauté villageoise : il tient les registres de catholicité (c'est à dire de l'État-civil), enregistre les testaments et fait connaître les ordres et avis de l'administration. En outre, il tient déjà une place non négligeable dans l'instruction, car l'école primaire a fait son apparition au village. On voit apparaître les prémices du conflit qui l'opposera, un siècle plus tard, au maître d'école.

Pourtant, bien que la France soit pauvre à la veille de 1789, il n'en reste pas moins que Cunfin garde une certain activité qui lui permet de tenir son rang dans la proche région. Les récoltes sont abondantes et la vigne connaît un accroissement remarquable, passant de 100 ouvrées en 1778 à une cinquantaine d'hectares en 1789.

A la convocation des États Généraux, les habitants se réunissent au son de la cloche et désignent leurs délégués. Les Cunfinois, comme les gens de toutes les provinces du royaume, présentent leurs doléances politiques, économiques, religieuses et morales. On réclame surtout l'abolition des charges et des impôts et leur égale répartition. Ces cahiers de doléances, même s'ils ne reflètent pas opinion des plus pauvres, donnent une idée des revendications paysannes. L'unanimité se fait contre les droits seigneuriaux et féodaux. Ils demandent à ce que l'impôt soit payé par tous et devienne proportionnel aux revenus. Les paysans ne remettent pas en cause le principe de la propriété privée. Ils veulent pouvoir louer des terres. Rares, sont ceux qui demandent l'aliénation des biens du clergé, mais tous demandent qu'on leur restitue leurs droits d'usage.

Au niveau du village, la Révolution se passera sans laisser de souvenirs regrettables, si ce n'est la "spoliation du mobilier de l'église, exécuté par ordre du Directoire du département". La plupart des habitants ne prirent qu'une faible part aux mouvements politiques et "les efforts de la malveillance n'ont pu les détourner de leurs travaux, ni les pousser à aucun excès dont le souvenir puisse leur laisser des remords" (32). La tranquillité publique n'a jamais été gravement troublée. En quelque sorte, "il ne s'est rien passé". Pourtant, plusieurs personnes de cette région iront grossir les effectifs des armées lors des guerres de la République et de l'Empire.

L'Assemblée Nationale décrètera, bientôt, la suppression des anciennes provinces auxquelles elle substitue la division départementale. Anéantir les anciennes provinces, c'était détruire les privilèges de cité et les vieilles inimités, c'était confondre tous les droits, tous les intérêts. Il n'est donc plus question de ces bourguignons dont l'origine se perd dans la nuit des temps, de ces vaillants champenois qui ont su échapper à Attila. Il n'y aura plus désormais, que des Français.

La France est divisée en départements, l'Aube est créée le 15 janvier 1790, elle comprend 60 cantons, 484 communes et compte 230000 habitants.

L'arrondissement de Bar-sur-Seine est formé de 5 cantons et de 85 communes. Il compte une population de 51000 habitants. Cunfin fait partie du 3ème canton : celui d'Essoyes.

La Révolution est venue mettre un terme aux chicanes et aux procès, sans cesse renaissants, et l'Assemblée Nationale, par ses décrets des 4 et 7 août 1789, supprime la dîme, les cens, les droits féodaux et abolit les corvées.

Le prieur et les moines de Clairvaux, seigneurs de Cunfin jusqu'à la Révolution, venaient de faire vivre ce village sous leur domination durant cinq siècles.

Le XIXème siècle est une période de transition pour cette commune. Elle ne connaît plus l'influence des religieux de Clairvaux. Cette abbaye, de verrerie puis papeterie qu'elle était devenue, se transforme en 1808 en maison de détention. Ensuite, Cunfin ne sera livré qu'indirectement aux aléas des invasions étrangères qui, en 1814, tentaient de déstabiliser l'Empereur Napoléon. Néanmoins, les combats décisifs de la Campagne de France seront livrés dans l'Aube : c'est le 24 janvier 1814, devant Bar-sur-Aube, que le Maréchal Marmont livre les premiers combats et c'est dans cette même ville que les Français seront battus lors des derniers affrontements. Cunfin connaîtra alors l'invasion étrangère puisque des troupes russes, autrichiennes et bavaroises y stationneront sans que pour autant soient relevées des exactions.

La Révolution, avec ses nombreuses réformes, a introduit l'avènement de nombreux personnages qui auront une importance dans la vie des communes, comme le Préfet et le Sous-préfet. Ces personnes nommées par le Premier Consul ont eu des contacts plus concrets avec les municipalités. La Loi stipule : "Le Préfet devra visiter les communes au moins deux fois l'année et le Sous-préfet au moins quatre fois, sous peine de destitution...". Le Préfet tient en mains l'administration, surveille l'esprit public et contrôle la vie économique. Le maire et l'adjoint, à un échelon inférieur, s'occupent eux, de l'administration et de la police locale, de la répartition des impôts, et tiennent les registres de l'État-civil. Ainsi, le maire joue un rôle de plus en plus actif dans la vie quotidienne et les membres du Conseil municipal sont souvent choisis parmi les habitants "sachant lire et écrire". Il n'en reste pas moins vrai que chaque famille du village est représentée au sein de ce Conseil, grâce à des liens familiaux, proches ou lointains, l'unissant à l'un ou l'autre des conseillers. Nul n'est absent de la vie communautaire. L'information ou les débats sont bien souvent rediscutés par les familles "élargies", lors des veillées qui les rassemblent auprès de la cheminée.

Les intrigues nationales, sur le plan politique, qui secouent la France, ne semblent pas avoir de grandes conséquences sur la vie du village. Notre campagne vit à l'heure des moissons, des vendanges, et de la coupe des bois... Seules, les commémorations, les messes anniversaires, ou les fêtes, annoncent un quelconque changement de souverain ou de régime. Dans les différentes archives compulsées, je n'ai pas relevé d'affrontements à ce sujet. La politique sait déjà être discrète.

Quant à l'instruction, celle-ci se développe depuis le XVIIème siècle sous la forme d'une école primaire qui s'est installée officiellement, malheureusement l'évolution en est difficilement étudiable par manque de renseignements. Il m'a été, néanmoins, rapporté qu'une sélection à la base existait. Le droit de suivre des enseignements n'était pas donné à tous ; il fallait être "riche" ou "puissant" dans le sens avoir des possessions et surtout avoir l'appui du curé car il existait un monopole de la lecture, de l'écriture et de la signature.

 En 1850, l'instruction se diversifie. L'instituteur s'occupe des garçons et l'éducation des filles est régentée par les bonnes sœurs de la Providence de Troyes, installées dans le village depuis le début du siècle. Il est toujours clair dans les esprits, qu'il appartient aux religieuses de "former à la pratique des vertus, les jeunes personnes qui, un jour, doivent faire le bonheur des familles".

Cette époque est aussi marquée par de grands travaux. La construction de lignes de chemins de fer contribue à transformer de nombreuses localités. La Champagne pouilleuse voit ses sols améliorés grâce à l'implantation de pins, la réalisation de prairies artificielles et l'emploi intensif des engrais. Mais sur le plan sanitaire, il reste énormément de choses à faire pour améliorer les conditions de vie à la campagne. Il existe encore des épidémies de choléra qui touchent durement les villages de la région. Non atteint en 1832, Cunfin le sera en 1854 avec 133 victimes sur une population de 1252, recensée en 1846. Cunfin ne possède pas de médecin mais on note la présence d'une sage-femme pour les accouchements et une personne qui sait "donner les soins.

Pour ce qui est de la terre, après la Révolution, celle-ci ne se répartit plus comme auparavant. Les laboureurs commencent à accéder à la terre en la cultivant et en la rachetant. Chacun peut cultiver son lopin de terrain ou parfois se louer aux fermes plus prospères afin d'amasser un petit pécule pour acheter un mouton, un cochon ou une vache ou bien parfois simplement quelques volailles. L'ordinaire peut être amélioré en récupérant un peu de grains en glanant après les moissonneurs, en grappillant dans les vignes après les vendanges ou en nourrissant les bêtes en vaine pâture dans les jachères et les terres non exploitées.

L'Aube est le département où l'on enregistre une dépression et une réduction de la valeur vénale du sol. Le prix de la terre baisse de 55 % (2ème département de France après l'Aude). Le propriétaire non exploitant perd aussi sur son capital ; les rentiers du sol sont aussi menacés dans leurs revenus et les capitaux de cette nature se désengagent de plus en plus. Il s'est alors produit une dépaysanisation de la population rurale en même temps que ses effectifs fondaient avec l'exode rural. Les marchés des environs périclitent et se réduisent en nombre au profit de ceux des gros bourgs. Le paysan devient de plus en plus dépendant d'intermédiaires nombreux et la société paysanne est en fermentation. L'ordre ancien est contesté et les rapports de forces traditionnels ne son plus admis.

   Ce monde en mutation est un monde malade exerçant une activité en perte de vitesse. Cunfin appartient désormais à un département qui possède une économie en plein essor, tant en agriculture qu'en industrie. Les seuls problèmes qui se posent, maintenant, résident dans la disproportion de plus en plus importante entre une population urbaine en pleine expansion trop rapide et une population rurale en voie de disparition.

Florissant sur le plan démographique et économique, Cunfin semblait avoir tous les atouts pour réussir : des bois riches et abondants où travaillent de nombreux bûcherons et sabotiers ; des terres cultivées par des laboureurs ; des commerçants et des fonctionnaires qui activent l'économie locale.

Cunfin possède une municipalité agissante et ouverte aux progrès axés sur l'amélioration des conditions de vie et d'hygiène.

Enfin, un culte moins présent mais toujours efficace pour régler la vie religieuse, grâce au dévouement de nombreuses personnes du village.

Malgré tous ces éléments favorables, les premiers signes de déclin de la commune, commencent à apparaître. Cunfin devra faire face à de nombreuses difficultés qui se présenteront au cours des décennies.     ......*.*.*.*.*

(1) - Il parait, néanmoins, que le prieur ne pouvait, seul, instituer ses officiers, ni faire exercer la justice sous son seul nom, ainsi en 1584, le prieur Bernard Louot, qui prétendait le contraire fut condamné par une sentence rendue contre lui au Palais des Requêtes à Paris et confirmée par le parlement...

(2) - Registre foncier d'une seigneurie.

(3) - Par contre, à l'époque où Cunfin relevait du baillage de Laferté-sur-Aube, les exécutions se faisaient dans cette ville.

(4) - Il faut noter aussi l'existence de deux moulins à vent.

(5) - Certaines maisons de Cunfin possèdent des fours mais ces derniers n'ont été réalisés qu'à partir du XVIIIème siècle.

(6) - planche fendue dans le sens des rayons médullaires et servant à confectionner les douves des tonneaux.

(7) - Notice historique sur le bourg de Cunfin - Abbé Tynturié.

(8) - Les familles nobles qui vinrent habiter Cunfin n'y avaient pas de droits seigneuriaux.

(9) - Le titre d'écuyer se donnait autrefois à des officiers qui avaient le soin et le gouvernement des chevaux du Roi ou d'un prince.

(10) - Il fut envoyé, à ce qu'il parait, par la soeur du prieur qui pensait que Philippe de Ravinel et son cousin étaient venus dans l'intention d'assassiner le prieur.

(11) - Voir l'histoire de cette ferme.

(12) - Cunfin relevait de l'ancien baillage de Laferté, mais par privilège l'Abbaye de Clairvaux était exemptée, depuis quelques temps, de cette juridiction, suivant divers arrêts de la Cour du Parlement.

(13) - C'était un sergent assisté de deux recors... quelques écrits portent que le juge de Chaumont prétendit aussi avoir eu connaissance de l'accident de Cunfin.

(14) - Quelques historiens rapportent le même phénomène sur un nommé Urbain Grandier, brûlé pour la même cause et au même siècle dans le Poitou.

(15) - Notice historique sur le bourg de Cunfin - Abbé Tynturié.

(16) - Guide l'Aube mystérieuse - J. Durand, 4° Édition.

(17) - Droit de gerberie que l'on payait à l'Église ou aux seigneurs. En 1699, on constatait l'existence de dîmes novales qui étaient perçues sur des terres nouvellement défrichées ; le curé n'y avait aucun droit.

(18) - Détruit en 1697, il avait été question de le rétablir en 1728. En 1788, le monceau de décombres qui s'élevaient le long des murs du cimetière étaient les ruines de cet ancien four banal. Le titre le plus ancien qui en fait état date de 1299.

(19) - Ancienne mesure agraire de superficie correspondant à la quantité de terrain qu'un homme peut labourer en une journée.

(20) - On avait fait de cet emplacement un vaste clos planté d'arbres fruitiers. Lors de l'aliénation des biens seigneuriaux, il fut vendu et acquis au prix de 300 livres par le curé de Cunfin (Etienne Benoît). Il passa ensuite à son neveu (Monsieur Bellot) qui le revendit à la commune pour la somme de 7500 francs en 1854.

(21) - Registre.

(22) - Redevance en argent payée au seigneur, au Moyen-âge.

(23) - Il semble que le prieur ne fut pas assigné avec les moines de Clairvaux, quoiqu'il fut intervenu dans leur contestation avec les habitants de Cunfin, comme y étant aussi intéressé qu'eux. Il contribua à tous les frais nécessaires pour agir en justice. Le prieur d'alors était Jean Le Pault, prêtre religieux résidant à Laferté-sur-Aube, dont il était aussi le prieur.

(24) - Ou Procureur d'office, c'est celui qui avait soin des intérêts du seigneur.

(25) - La Champagne était divisée en quatre grands baillages : Troyes, Reims, Vitry et Chaumont, puis cinq en 1640 avec le baillage de Langres, six avec celui de Sedan en 1661, et enfin sept avec Châlons ; et en 150 prévôtés. Les prévôts étaient subordonnés aux baillis, le haut pouvoir restant aux mains du Gouverneur. Ils rendaient la justice, centralisaient les impôts, convoquaient les armées. Révocables à merci, leur autorité était entièrement aux mains du Roi.

(26) - Laferté-sur-Aube était un village situé à mi chemin entre Clairvaux et Cunfin, à 12 Kms environ.

(27) - Les intendants connaissaient, dans toute l'étendue de leur Généralité, des exécutions, des arrêts du Conseil qui leur étaient adressés. 

(28) - L' Élection était un tribunal où se jugeaient les différends concernant les tailles, les aides, et les gabelles. Le mot taille se disait des impôts que le Tiers-état payait au Roi et dont la première institution remonte à Saint-Louis. Par les aides, on entendait les subsides sur les boissons et par gabelle, les impôts sur le sel.

(29) - Il y avait bien à Cunfin, un dépôt de sel, mais on ne devait s'en servir que pour la cuisine. Il fallait aller en chercher à Mussy pour saler les porcs. Là on donnait une carte rouge qu'on appelait "bullette" et qu'on devait suspendre au plancher. Lorsque les commis se présentaient au pays, ils devaient s'informer de ceux qui avaient tué des porcs et se transporter chez eux. S'ils y voyaient la "bullette" suspendue au plancher, ils ne faisaient pas de procès. A cette époque, il se tuait 9 à 10 porcs par an pour tout le village.

(30) - C'était un de ces arbres qui, sous le règne d'Henri IV, furent plantés sur les places de tous les villages (ordre de Sully) pour servir de point de réunion aux habitants. Ils furent appelés du nom de ce ministre. Ce marronnier fut abattu à regret, peu avant la Révolution, pour construite une maison qui a servi de maison commune et de maison d'école. L'emplacement est celui de l'actuelle Mairie.

(31) - qui se composait des doyennés de Châtillon et Bar-sur-Seine. A mesure que le nombre de fidèles augmentait dans une contrée, on y envoyait un ou plusieurs prêtres pour les gouverner. De là, les archidiaconés et les doyennés ecclésiastiques qui, dans le principe, n'ont été autre chose que les premières paroisses de chaque diocèse.

(32) - Notice historique sur le bourg de Cunfin - Abbé Tynturié.

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