Extrait de la Thèse de Maîtrise de Sociologie Rurale
" Déclin d'une commune française - Cunfin en Champagne "
de Monsieur Claude PARIS
Dans sa thèse de maîtrise de sociologie rurale " Déclin d'une commune française - Cunfin en Champagne " réalisée sous la direction de Mesdames EIZNER et GROSHENS (Université PARIS X - NANTERRE - Sciences sociales et administration - Année 1985/1986),
Monsieur PARIS, Claude, détaille une approche historique de Cunfin, dans laquelle y est relatée ;
LA MALADRERIE
*.*.*.*.*...... Chacun souhaitait prendre part aux expéditions et aux ferveurs spirituelles qui y étaient attachées, mais comme tout le monde ne pouvait pas se croiser et quitter son foyer, ceux qui restaient crurent pouvoir contribuer au succès de l'entreprise en construisant des "hôpitaux" pour les malades et des hospices où les croisés et les pèlerins étaient reçus. Ainsi, les chevaliers de Cunfin n'ont pas dû rester passifs face à ce mouvement car une espèce de honte s'attachait à ceux qui ne se croisaient pas et on leur envoyait, en signe de flétrissure, une quenouille ou des fuseaux.
Cunfin participa, à sa manière, à cet effort, en possédant une maladrerie ou "maladière" dont le souvenir en est conservé par la dénomination du terrain où elle était située. C'était un hospice fondé au XIIème siècle pour les pauvres et les malades, vraisemblablement à l'instigation des seigneurs du pays qui ne purent participer aux croisades.
Cette époque de croisades et de féodalité est aussi marquée par la famine et la peste qui ont été très fréquentes au cours du Moyen-Age. En un siècle, on note pas moins de dix famines et treize épidémies de peste et le village fut plus particulièrement touché par celles de 1030 et 1032. Quant aux famines, le diocèse de Langres en souffrira d'une façon plus intense en 1125 et 1147.
Ces renseignements pris dans les anales de Clairvaux mettent en évidence la situation plus que précaire du paysan cunfinois, d'une part, et d'autre part, que les moines subvenaient parfois d'une façon très efficace aux besoins essentiels qui pouvaient assurer la survie dans ces périodes troubles.
Ainsi, les moines peuvent faire face à la famine : "Dieu, par sa bénédiction, remplit avec abondance les greniers de l'abbaye...". Pourtant ces derniers ne parvenaient pas à amasser des provisions suffisantes pour le reste de l'année. Après avoir compté tout avec soin, ils ne pensaient pas en avoir assez et ils envisageaient d'acheter des surplus, ce qui était une pratique courante. Mais ils ne trouvèrent pas assez d'argent pour couvrir une telle dépense, car les prix montaient et tout se vendait plus cher que d'habitude ; ils durent se résigner à faire avec ce qu'ils avaient comme provisions. En fin de compte, il purent secourir un grand nombre de pauvres depuis le carême, assurer une distribution de pains et assister ceux qui venaient demander à manger et ceci jusqu'à la saison suivante.
L'histoire de la seigneurie de Cunfin se confond avec l'histoire des possessions du prieuré du dit lieu et de celles de l'Abbaye de Clairvaux.
Il y avait un seigneur dominant qui fut le comte de Champagne et ensuite le Roi son héritier. On assistera surtout à un transfert de biens qui passeront de la seigneurie aux religieux.
Dès le XIIème siècle, les seigneurs apparaissent dans des documents consignant différentes transactions entre chevaliers (1). Le titre de chevalier était, en France, le premier degré d'honneur de l'ancienne milice. Il n'y avait que le Roi qui pouvait anoblir des roturiers en les faisant chevaliers. Haute dignité que l'homme de guerre souhaitait et qui lui permettait de se voir qualifier par les autres de "sire", "messire", "monseigneur"..., le droit de porter des étoffes de soie ou de damas et de doubler leurs manteaux de menu vair ou d'hermine. Quelques chartes nous font connaître les noms de plusieurs chevaliers qui possédaient des domaines à Cunfin (2). En 1182 (3), Radulphe, miles de Confinio, est témoin d'un acte passé à Langres devant l'évêque Garnier. En 1201, Girard est témoin aussi d'un acte passé à Bar-sur-Aube en faveur du prieuré de Condes. D'ailleurs, au XIIème siècle, le fait d'être témoin est tenu comme un grand honneur. On se faisait ainsi le garant de la bonne foi des parties et de l'exécution du traité. Ce même Girard donne à l'abbaye de Clairvaux, pour son salut et celui de sa femme, tout ce qu'il possède au territoire de Cunfin, en terres, eaux, prés, bois, hommes et autres biens... . Vers la même époque, Philippe de Chalette, coseigneur, d'après l'attestation d'Hilduin, évêque de Langres, fait don à l'abbaye de Clairvaux d'une partie des biens (4) qu'il possède à Cunfin ; il s'engageait, par ailleurs, à offrir chaque année à l'église de ladite Abbaye, le jour de la fête de Saint-Bernard, des dons de différentes natures... .
En 1223, Jean de Drosnay, chevalier, et sa femme Raaut (dite Rotilde en 1202) firent don à ladite Abbaye de tout ce qu'ils avaient à Cunfin, en bois, plaines, serfs, Justice, provenant à Raaut de l'héritage de Garin, chevalier, frère de ladite Raaut (Aube, Cartulaire de Clairvaux : Bellus Mons XXXI). Garin et sa soeur, Raaut ou Rotilde, étaient enfants de Philippe de Chalette. Les autres héritiers continueront à vendre à l'Abbaye le domaine qu'ils possédaient.
En 1239, Miles (ou Milon) de Mornay et Sarracène (ou Sarrazine) sa femme, engageaient pour 20 livres de Provins (5) aux religieux de Clairvaux, ce qu'ils possédaient sur le finage de Cunfin.
En 1246, c'est au tour de Guillaume de la Chapelle (de Capellâ), damoiseau, et Adeline sa femme, de faire un don et d'engager 7 livres fortes de Provins. Quelques autres nobles possèderont des biens et des droits seigneuriaux sur le finage de Cunfin et en feront également don à l'Abbaye de Clairvaux (6).
A partir de 1250, les chevaliers ne seront plus les maîtres absolus dans le pays et à quelques exceptions près, il abandonneront tous les droits sur le village.
Toutes ces transactions donnent donc la possibilité à l'Abbaye de Clairvaux de se constituer peu à peu un domaine important à Cunfin. Le Chef-lieu de ces possessions était une maison d'exploitation appelée la Grange ou Maison des convers.
Outre l'Abbé de Clairvaux, Cunfin avait aussi comme seigneur le titulaire du prieuré, un certain Jobert (7). En 1280, Jobert s'oblige envers Thibaut, abbé de Clairvaux, à ne pas demander le partage des bois qui sont communs à Cunfin et à l'Abbaye, sous la condition que lui, prieur, en ait les trois-quarts et l'Abbaye le quart par indivis. L'Abbaye reconnaîtra, par une charte, le droit d'usage dans ces bois pour les deux granges de Fontarce et de Sermaise, et la vigne de Moricourt pour l'entretien de laquelle on prendra, chaque année, dans les dits bois 6000 paisseaux (8).
En 1282, le même Jobert transige avec les religieux de Clairvaux, au sujet de la vigne de Moricourt et des terres de Bouthuillier, cultivées par le prieur de Clairvaux et ses religieux, "lesquelles devront être déclarées franches de toute dîme, ainsi que le jardin et la vigne "au chevalier", moyennant quoi l'Abbaye pourra prendre dans les bois, les paisseaux nécessaires...".
Un siècle plus tard, en 1387, une nouvelle transaction entre les deux parties portera confirmation pour ces terres et vignes données en emphytéose (9) par l'Abbé de Clairvaux, sous la condition qu'il y ait répartition des dîmes : le prieur trois quarts et le curé de Cunfin un quart, et ceci pour moitié de l'ensemble perçu ; le reste étant, bien entendu, pour l'Abbaye.
Au XIIème siècle, le comte de Champagne a pouvoir sur environ 2030 fiefs répartis sur 19 de nos départements actuels ; le comté de Bar-sur-Seine est l'un des principaux fiefs de l'Aube. Il n'est pas homogène mais représente une véritable puissance. Ce comté est divisé en 28 châtellenies. Par ailleurs, on dénombre pas moins d'une vingtaine de maisons fortes dans ce comté qui prouvent une certaine vulgarisation du ban. Historiquement, au cours de cette période, les comtes de Champagne, plus puissants que le Roi, font des guerres continuelles pour agrandir leur domaine. Un jeu d'alliance leur donnera les comtés de Bar-sur-Aube et Laferté-sur-Aube.
Puis, en 1284, Philippe IV le Bel épouse Jeanne (10) qui lui apporte la Navarre et la Champagne. Cette province réunie au domaine royal perd alors totalement son indépendance.
Le fait d'appartenir au baillage (11), prévôté et châtellenie de Laferté-sur-Aube (12) laisse au seigneur de ce lieu le droit d'exécuter les jugements criminels rendus par le juge du village.
Quant à nos paysans cunfinois, ils vivent plus heureux sous la dépendance et la domination des moines. Leur obéissance envers eux n'est qu'une sorte de redevance filiale comme le montrent les écrits qui mettent en évidence une souveraineté douce et bienveillante : "... tout le monde sait de quelle manière les maîtres séculiers traitent leurs serfs et leurs serviteurs : ils ne se contentent pas du service usuel qui leur est dû, mais ils revendiquent sans miséricorde les biens et les personnes... De là, outre les cens accoutumés, ils les accablent de services innombrables... mais voit-on des gens de la campagne fuir et abandonner le sol pour aller ailleurs. Les moines, au contraire, quand ils ont des possessions, agissent en bien. Ils n'exigent des colons que les choses dues et légitimes, ils ne les tourmentent d'aucune vexation, ils ne leur imposent rien d'insupportable. Voilà pourquoi les moines sont propriétaires à aussi bon titre, à meilleur même que les laïcs ...". Cette comparaison avait été faite par Pierre le Vénérable, Abbé de Cluny.
Au Moyen Age, les habitants de Cunfin étaient redevables envers leurs seigneurs dont ils tenaient tous leurs biens, de différentes taxes ou droits. Ainsi, on relève :
* Droit de mainmorte, c'est à dire faculté d'hériter de leurs sujets qui mourraient sans postérité ou sans parenté légitime (13).
* Droit d'aubaine, ou de succession aux biens des étrangers non naturalisés ou morts sans avoir fait de testament quoique naturalisés.
* Droit d'épave ou de s'emparer de toutes choses égarées et perdues par leur propriétaire, telles que meubles, bétails, argent... .
Petit à petit, cette population fut affranchie de plusieurs servitudes, moyennant quelques cens très modiques, mais nulle part on ne relève l'époque à laquelle elle a acquis le droit de "commune". Aucune pièce authentique ne confirme cet état. Par contre, nous savons qu'ils restèrent toujours judiciables de leurs seigneurs du fait que ces derniers conservèrent jusqu'à la Révolution, les droits de Justice, haute, moyenne etbasse (14), ceux de cornage ou d'hommage et de banalités. La contiguïté des deux seigneuries, sises sur le même territoire, amenait souvent des différends. Les prétentions respectives sur les mêmes droits étaient, autrefois, entre nos prieurs et les religieux de Clairvaux, l'objet de vifs griefs et de procès sérieux. Seule, la suppression du régime féodal y mit une fin.
On ne peut poursuivre plus avant cette étude historique, sans se pencher sur le cas du prieuré de Cunfin et de son prieur. ......*.*.*.*.*
(1) - en latin "miles" qui signifiait alors chevalier, c'est à dire homme de guerre par excellence, mais aussi seigneur.
(2) - Le premier qui apparaît est Gui de Cunfin, témoin d'une charte à côté d'Hervé, seigneur de Ligny-le-Châtel (Roserot A.).
(3) - Date non confirmée car Garnier de Rochefort n'est devenu évêque de Langres qu'en 1193 (Roserot A.).
(4) - Aube - Cartulaire de Clairvaux : Bellus Mons XVII.
(5) - Le denier a été de diverses valeurs suivant le temps et les lieux. Pendant des siècles, le sou a été le vingtième de la livre et le denier le douzième du sou. La livre apparue au XIIIème siècle prend le nom de livre tournois, car elle était fabriquée à Tours.
(6) - Garnier, Guy de Choiseul, Symon de Bricon, Guillaume de Juignières...
(7) - C'est le nom du plus ancien prieur de Cunfin qui nous soit parvenu.
(8) - ou échalas, sorte de pieu qui soutient la vigne ou d'autres plantes trop faibles pour demeurer verticales.
(9) - bail à très long terme qui confère au preneur un droit réel, susceptible d'hypothèque.
(10) - Jeanne, fille de Blanche d'Artois, était reine de Navarre, comtesse de Champagne, de Brie et de Bar-sur-Aube, sous la régence de sa mère.
(11) - On donnait le nom de bailli (gardien) à un juge royal ou seigneurial chargé de rendre la justice dans une certaine étendue de territoires. Les baillis commandaient la force armée, administraient les finances et tout en ayant la puissance administrative, avaient aussi le pouvoir exécutif. Ces baillages ont pris la place des anciens pagi et subsisteront, pratiquement sans modification, jusqu'à la révolution.
(12) - En 1077, Alix, soeur de Simon, comte de Laferté-sur-Aube, épouse Thibaut III, comte de Champagne et lui apporte en dot les comtés de Bar et Laferté-sur-Aube. Les comtes de Champagne relevant pour des terres des évêques de Langres. Le comte de Champagne en 1231 affranchira les habitants et érigera Laferté en commune, moyennant une redevance de 90 livres.
(13) - Un titre de 1420 indique que le prieur de Cunfin se fait adjuger la succession d'un prêtre nommé Thomas Bournet, issu de parents de mainmorte de Cunfin et décédé à Troyes.
(14) - La justice basse consistait en cens, redevances annuelles. La moyenne donnait la juridiction où l'on portait les causes personnelles réelles et mixtes en matière civile et les délits légers dont l'amende n'excédait pas 75 sols. La haute Justice instruisait de toutes sortes de matières civiles et criminelles, exceptés les cas royaux.