Dans le courant du mois de mars de l’année 1920, le Conseil Municipal décidait l’érection d’un monument aux enfants de Cunfin, morts pour la patrie.
Le choix de l’emplacement soulevait une discussion d’ailleurs très courtoise, en séance du Conseil. Certains membres soutenaient que le monument devait être érigé sur la place de la mairie, d’autres sur une autre place située près de la halle. Enfin, il était décidé de s’en rapporter à la population par voie de référendum. La majorité s’était prononcée pour la place de la mairie.
La souscription publique avait atteint 3000 francs.
Suite aux décisions officielles et actes procéduraux, la société des « Marbreries Générales de Paris » sise 22, rue Poussin dans le seizième arrondissement de la capitale, s’était vue confier les travaux.
Un magnifique monument en granit ayant la forme d’un obélisque sur socle était construit et érigé sur la place de la mairie. Il était surmonté d’un coq gaulois en bronze. A sa base, les noms des 31 soldats tombés au champ d’honneur étaient gravés sur deux plaques de marbre.
Parallèlement et pour mémoire, le dimanche 11 avril 1920, dans l’église paroissiale de Cunfin, une cérémonie patriotique avait été célébrée pour inaugurer une plaque commémorative à la mémoire glorieuse des enfants du village tombés pendant la guerre au service de la France → .
La date de l’inauguration du monument était fixée au dimanche 5 juin 1921. Les membres de la Ligue des combattants de la grande guerre de Cunfin et des environs étaient instamment priés d’y assister, avec obligation du port de l’insigne de la société autour du drapeau de la Ligue.
La cérémonie qui avait été très bien ordonnée par la municipalité, s’était déroulée à la date prévue par un temps superbe et avait été vraiment impressionnante.
A midi, Messieurs LESACHÉ, Victor et ISRAËL, Alexandre, Députés de l'Aube, MAMELLE, Alfred, Georges, Sous-Préfet de Bar-sur-Seine, arrivaient en automobile.
A l’entrée de la commune, ils étaient reçus par Monsieur RUFFIN, Georges, Octave, Maire de Cunfin secondé par Monsieur BRETON, Charles, Léon, Onésime, son adjoint, assistés du Conseil municipal, de la subdivision des sapeurs-pompiers et du groupe des anciens combattants précédés du drapeau de la Ligue.
Le cortège, ayant en tête la Fanfare municipale qui jouait des airs funèbres, s’était d’abord rendu au cimetière pour y saluer les tombes de deux soldats récemment rapatriés.
A la sortie du cimetière, un premier discours de Monsieur RUFFIN, Georges, Octave, Maire de Cunfin, ne s’était pas fait attendre ;
« « « Mes bons amis, c’est pour moi un amer regret de ne pas avoir été présent le jour où, rentrant des champs de bataille, où, glorieusement vous avez succombé, vous avez été rendus à votre terre natale. Vous y reposez à jamais au milieu de l’admiration des vôtres.
Aujourd’hui, avant d’inaugurer le monument qui rendra impérissable le souvenir de votre héroïsme, je veux vous assurer de ma personnelle et entière sympathie, ainsi que de mon inaltérable affection. » » »
Puis le cortège se rendait au restaurant JOLLY où un banquet, qui comprenait une cinquantaine de convives, était offert aux invités.
A la table d’honneur, outre les personnalités déjà désignées, se remarquaient Monsieur JACQUEMIN, Maire d’Essoyes, Monsieur l’adjoint au Maire de Fontette, etc... .
Le repas était très bien servi par la maison JOLLY.
Au dessert, après un toast porté par Monsieur le Maire à ses invités, Monsieur le Sous-Préfet, en termes excellents, remerciait la municipalité de Cunfin de son aimable accueil, puis félicitait de leur belle tenue les sapeurs-pompiers, les anciens combattants, la fanfare municipale et enfin portait un toast à Monsieur MILLERAND, Alexandre, Président de la République.
Monsieur LESACHÉ s’était levé à son tour, puis après avoir dit combien son collègue Monsieur ISRAËL et lui, étaient touchés de l’accueil qu’ils recevaient à Cunfin, il rendit compte dans ses grandes lignes du mandat dont le corps électoral l’avait honoré.
Il retraçait l’effort financier demandé au pays pour équilibrer le budget, le souci qu’avait eu la Chambre, par une élévation progressive des droits de succession et de la taxe d’impôt sur le revenu d’atteindre particulièrement ceux qui étaient fortunés et enfin la préoccupation qu’avait eue le Parlement de venir en aide aux habitants des campagnes pour enrayer la dépopulation qui s’accentuait de jour en jour.
Après avoir comparé l’existence enfiévrée des villes et les difficultés de s’y loger, la vie malsaine qui souvent était réservée à ceux qui venaient y chercher une existence facile, les déceptions qu’ils éprouvaient chaque jour, il avait essayé de faire comprendre aux habitants de Cunfin combien était plus heureuse et plus indépendante la vie de la campagne.
Finalement, il levait son verre aux braves habitants de Cunfin si laborieux et si accueillants.
A quinze heures précises, le cortège officiel se rendait sur la place de la Mairie où était élevé le monument.
Une belle pyramide en granit des Vosges surmontée d’un coq gaulois en bronze. Sur des plaques en marbre étaient inscrits les noms des 31 soldats de Cunfin tombés pour la France.
Voici ces noms glorieux à tout jamais :
1914 – ARCELIN, Emile, BABEL, Gaston, DUGNE, Louis, DINOT, Hippolyte, JOLAIN, Henri, ROBERT, Constant, SIMON, Marcel, SURIOT, Georges.
1915 – BARAT, Marius, CHAPPRON, Ulysse, CHAPPRON, Théophile, DECESSE, Louis, JUVENELLE, Paul, MOUCHOTTE, Georges, THIAUCOURT, Gaston, VALERE, Albert.
1916 – AUBRY, Raymond, DENUILLY, Jean Baptiste, FREQUELIN, Henri, GILLOPPE, Louis, LECUYER, Louis, LEICKNER, Victor, MANGEOT, Georges, TEINTURIER, Emile.
1917 – AUGUSTE, Marcel, CORNU, Félix, DUPONT, Anatole, TEINTURIER, Albert.
1918 – DUGNE, Paul, DENUILLY, Albert, MOREY, Raymond.
Des discours avaient été prononcés par Monsieur RUFFIN, Maire, un garde forestier au nom des anciens combattants, Monsieur ISRAËL, Député et Monsieur BRETON, adjoint au Maire de Cunfin.
Voici en quels termes s’était exprimé Monsieur le Maire :
« « « Mes fonctions de Maire me procurent l’insigne honneur d’inaugurer ce monument élevé à la gloire des enfants de la commune, morts au champ d’honneur et qui perpétuera d’âge en âge, les noms de nos libérateurs. Ils resteront chers à leurs proches et grands dans l’histoire. Leur héroïsme et le sacrifice de leur vie ont préservé la patrie du joug honteux de l’esclavage et ont assuré la victoire. Nous en garderons une éternelle reconnaissance.
Que l’orgueil légitime d’avoir de si nobles enfants vienne atténuer la douleur de ceux qui les pleurent – consolation impuissante, certes, mais qui, quand même, à sa douceur.
Qu’une égale gratitude enveloppe aussi ceux qui plus heureux nous sont revenus, car ils ont aussi souffert, fait tous les sacrifices et accompli tout leur devoir.
Ce monument a été élevé par souscription publique.
Nous en remercions du fond du cœur les généreux souscripteurs et aussi le Conseil municipal qui a tenu à y joindre cette couronne, témoignage sincère de sa reconnaissance et de son respect aux héros de la grande guerre. » » »
Monsieur BRETON avait fait l’excellent discours suivant apprécié à l’unanimité par l’ensemble des personnes présentes :
« « « Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
J’ai été si douloureusement mêlé aux deuils que nous déplorons que je considère comme un devoir de rendre, moi aussi, un dernier hommage à nos chers disparus.
Hélas ! j’ai eu la pénible mission d’annoncer aux familles le malheur irréparable qui les frappait. Mission douloureuse dont je ressens encore toute l’amertume.
Mon émotion est aussi intense à l’heure actuelle qu’au moment du drame, car ce sont les meilleurs d’entre-nous que nous avons perdus. Et je revois les visages consternés, j’entends les sanglots étouffés de tous quand, officiellement, j’au dû prévenir les premiers, les parents SIMON de la mort de leur unique et excellent fils Marcel, classe 1912, incorporé en octobre 1913, tombé dès les débuts de 1914 à Vitrimont (Meuse). J’avais pu aussi apprécier toute la foi patriotique qui animait nos chers mobilisés : jeunes et vieux. Au lundi 3 août 1914, quand, en gare de Cunfin, le plus gros flot de nos futurs poilus se rassembla pour se diriger sur sa destination respective, je les ai vus, pleins d’entrain, superbes d’audace et de confiance en la victoire.
Qu’il me soit permis de rappeler que nos collègues ici présents, Messieurs CORNIBERT et COURTOT, furent de véritables entraîneurs, des boute-en-train, avec leur camarade BARAT, tombé en 1915, après avoir été grièvement blessé en 1914 comme chasseur du Ier bataillon.
N’oublions pas non plus l’adieu du Lorrain DUJARD, notre collègue également, et qui de la portière du wagon en marche, nous lança cette fière apostrophe : « Au revoir les amis. Je ne reviendrai que lorsque la Loraine sera française ! » Prophétie que je m’abstiens de commenter. C’est aussi le jeune CHAPPRON Théophile, classe 1914, qui, au conseil de révision, devant les hésitations des majors, demanda avec instance à être reconnu bon pour le service armé, et qui tomba victime de son patriotisme, en Artois en 1915, le premier jour de sa présence à la tranchée, alors que son frère Ulysse mourait des fatigues de guerre à l’hôpital de la Loupe, en Eure-et-Loir, et pendant que leur aîné Emile, ici présent, remplissait merveilleusement son devoir de soldat.
C’était encore le caporal DECESSE, brave parmi les braves, grand cisailleur de barbelés, proposé par sa blessure pour le grade de sergent et la médaille militaire, et qui me déclarait à sa dernière permission ne pas vouloir manquer l’heure exacte de son départ, parce qu’on avait besoin de lui « là-haut ». Là-haut, c’était la butte du Mesnil, en Champagne, le tombeau de milliers des nôtres.
C’est enfin le chasseur DUPONT qui, blessé à La Chapelotte, me disait à l’une de ses dernières visites : « Il faut que je reparte pour me venger de ma blessure et de mes pieds gelés. » La grotte du Dragon, au Chemin des Dames, devait être son tombeau. Je ne veux pas non plus omettre le jeune chasseur AUGUSTE, tombé en Alsace et dont le moral à sa permission était vraiment merveilleux.
Oui, tous sont partis souriants, avec ce courage français qui a fait d’eux les premiers soldats du monde. Tous ont rempli leur devoir vaillamment. Leur tâche que nous connaissons fut colossale et surprenante. Ils ont touché aux extrêmes limites de l’endurance humaine.
Fiers, courageux, comprenant la tâche formidable qui leur incombait, ils se sont sacrifiés. Beaucoup des nôtres dorment encore loin de nous et parmi eux plusieurs fils uniques dont les foyers désormais resteront vides.
Trois jusqu’ici, le sergent LECUYER, le sergent-major TEINTURIER et le caporal DECESSE reposent en notre cher cimetière. Nul doute que plusieurs de nos héros nous soient rendus. On nous les a pris vivants, c’est bien le moins qu’on nous les rende morts.
Deux, à l’époque, ont été inhumés en terre allemande : le jeune et sympathique caporal ARCELIN, du légendaire 79ème d’infanterie, mort des suites de ses blessures après les terribles et meurtriers combats de Morhange ; puis l’excellent camarade DENUILLY, Albert, frappé, hélas, après quatre longues années de captivité, par la grippe infectieuse qui a causé tant de ravages dans les camps de prisonniers français. Mais eux aussi, espérons le, nous seront rendus. Mignonne petite orpheline, parents et veuve inconsolables pourront alors garnir de fleurs leurs tombes amères.
Un autre également, un modèle de conduite et de labeur, le mobilisé Louis DUGNE, est porté comme disparu. Il se peut que dans l’infernale tourmente, le lieu de sa sépulture échappe à toute recherche, à toute investigation. C’est un accroissement de douleurs pour les siens, et que nous ressentons d’autant plus qu’un de ses frères, le gai et brave Paul est tombé dans les derniers combats de la Somme.
Dans ces quatre années d’angoisse, veuves et ascendants m’ont parfois fait des confidences. J’ai participé à leur douleur. J’ai pleuré avec eux. J’ai vécu là, des heures brisantes. Je sais ce qu’il en coûte de perdre les siens. La blessure au cœur devient incurable. Il n’est pas de parole consolatrice. Doucement, mais sûrement, c’est un acheminement vers le tombeau. La mort ne devient plus qu’une délivrance. Mères, pères souffrent donc étrangement de la disparition de leurs enfants bien aimés. Les plus heureux sont peut-être ceux qui sont partis les premiers.
C’est donc aussi pour les familles en deuil que ce monument est érigé. Il leur appartient en quelque sorte. Il représente pour elles tout ce que nous avons de regrets et d’affection pour les leurs.
C’est un hommage de profonde reconnaissance ; qu’il soit aussi un lieu de pèlerinage. Que des mains pieuses le garnissent constamment de fleurs. Nous savons ce que nous devons à nos héros. Les jeunes générations ne doivent pas oublier.
Façonnées dans cet esprit par l’éducation, par la famille, par les circonstances, elles se souviendront. Et puisse ce monument resserrer nos liens de fraternité, contribuer à cette religion du souvenir, perpétuer à travers les âges la reconnaissance infinie que nous devons à nos 31 héros.
Mesdames et Messieurs, je m’incline très respectueusement devant ce monument. Je salue une dernière fois nos braves enfants.
J’adresse à leurs familles éplorées l’expression de mes condoléances très émues et j’exprime le vœu qu’elles trouvent dans cette manifestation de vive sympathie une atténuation à leur immense douleur.
Honneur à nos soldats de la Grande Guerre. » » »
Des poésies avaient également été dites par les enfants des écoles, garçons et fillettes, et par un pupille de la Nation.
Une magnifique couronne en fleurs naturelles avait été ensuite apportée par de gracieuses jeunes filles du pays.
L’appel des morts auquel le lieutenant des sapeurs-pompiers répondait par ces mots « Mort pour la France » avait été particulièrement impressionnant.
Nombre d’assistants versaient des larmes en souvenir des chers disparus dont on rappelait la mémoire.
[ cf. AD 10 - La Tribune de l’Aube - La Dépêche de l’Aube - Archives personnelles ]
Le Monument aux Morts (suite)
Documentation diverse incluant d'anciens articles journalistiques relatifs à l'Inauguration du Monument aux Morts...